Les épines sur le chemin de l’identification biométrique en Côte d’Ivoire

Publié le 27 oct. 2023 à 07:46

  • Les épines sur le chemin de l’identification biométrique en Côte d’Ivoire

Crédit Photo : Autre presse

Depuis 2018, l’Etat ivoirien a affiché ses ambitions pour une digitalisation complète l’état civil en Côte d’Ivoire. Cette volonté de modernisation de l’état civil ivoirien se traduit par de nombreux engagements sur l’ensemble du territoire. Pierre angulaire de tout le système, la gouvernance électronique doit aboutir à la création d’un fichier national fiable et sécurisé. Mais entre volonté politique et réalité du terrain, que d’écueils et d’obstacles. RTI Info a voulu en savoir plus.

L’office nationale de l’identification et de l’état civil (ONECI) a présenté le mardi 8 novembre 2022, un projet de digitalisation de l’état civil.

Ce programme a pour objectif de rendre les services d’état civil plus accessibles aux populations, dans la mesure, où, en Côte d’Ivoire, une naissance sur 2 n’est pas déclarée dans le délai réglementaire de 3 mois et un enfant sur 3 de moins de 17 ans n’a jamais été déclaré, selon les statistiques fournies par la délégation de l’Union européenne (UE) en terre ivoirienne, lors de cette cérémonie de présentation.

Selon Christian Ago Kodia, directeur général de l’ONECI, interrogé par nos confrères de 7 Info, "désormais toutes les personnes vivant en Côte d’Ivoire auront un acte de naissance et elles seront ainsi reconnues au niveau de l’état civil".

"Avec cette stratégie l’état civil va se rapprocher des populations et aussi plus pour que les populations adhèrent et puissent de plus en plus elles-mêmes déclarer les naissances et les décès", a-t-il ajouté avant de préciser que projet de digitalisation, "est important pour les populations parce que ça leur permet d’avoir un accès facile aux services d’état civil".

Pour traduire en acte cette volonté étatique, plusieurs lois ont été prises en 2018, notamment, la prise du décret présidentiel portant création du Registre national des personnes physiques (RNPP) dans le cadre de la stratégie de modernisation de l’état civil.

Un fichier national peu fiable et non-sécurisé.

Devant l’enthousiasme du gouvernement de Côte d’Ivoire et sa volonté farouche de digitaliser l’état civil ivoirien, ainsi que l’apport des partenaires techniques et financiers, les acteurs impliqués dans la gestion de ces services, semblent ne pas partager cette allégresse.

En effet, ces acteurs n’ont pas manqué de relever les maux qui minent l’état civil dans toute sa composante

Selon Djè Pascal, chef du service d’état civil de la mairie de Zuénoula, ville située à 363,7 km d’Abidjan la capitale économique ivoirienne, dans le centre ouest du pays, "la faiblesse des capacités en matière d’enregistrement, insuffisance du cadre juridique, inadaptation de la coordination entre la multitude d’agents mêlés à l’enregistrement des faits d’état civil, mauvaise qualité des actes juridiques et des données, sont autant de maux qui minent l’état civil en Côte d’Ivoire et le rendent peu fiable et non sécurisé".

A l’en croire, "les problèmes auxquels sont confrontés les mairies, les sous-préfectures, les centres de santé et les tribunaux de Côte d’Ivoire, sont aussi nombreux que les défis qu’ils imposent en termes de sécurité, de stabilité et de fiabilité des actes d’état civil".

Et comme si cela ne suffisait pas, les populations ne se pressent pas pour déclarer les naissances. Un phénomène constaté notamment à l’intérieur du pays où les citoyens doivent parfois effectuer de longues distances pour accomplir ce type de démarche administrative et cela a, par ailleurs, un coût en terme de transport.

Les conséquences sont multiples. En effet, selon les chiffres de l’Union européenne (UE), une naissance sur trois n’est jamais déclarée en Côte d’Ivoire. Ainsi donc de 2014 à 2017, le taux d’enregistrement a chuté, passant de 70% à 54%.

Et sans acte de naissance, les enfants ne peuvent pas être scolarisés et ne peuvent pas bénéficier des aides sanitaires de l’Etat.

21 centres d’état civil digitalisés, dans huit régions

Pour mettre à jour le registre d’état civil, les autorités ivoiriennes ont donc décidé de le digitaliser et d’équiper, d’un logiciel, les agents sur le terrain. A l’aide d’une tablette, les sages-femmes et/ou les agents communautaires devraient bientôt pouvoir déclarer les naissances. Avec cet outil, il sera aussi possible de déclarer un mariage, un divorce et de transcrire des décisions de justice, le tout étant ensuite conservé de manière numérique

Cependant, seulement 21 centres d’état civil ont pu être digitalisés, dans huit régions sur 31 que compte la Côte d’Ivoire, qui ont servi de test. Les statistiques dans ces centres affichent un taux d’augmentation des déclarations de naissance de 46%, comparées à l’annuaire statistique de 2020.

"L’avantage premier c’est que l’Etat sait tout de suite qu’il y a eu un fait d’état civil, c’est-à-dire un décès ou une naissance. De plus, avec ce système, on ne va plus perdre les registres", a indiqué Christian Ago Kodia, directeur général de l’Office national de l’état civil (ONECI).

Continuant sur sa lancée, il a ajouté que l’état civil en Côte d’Ivoire est dans une situation déplorable. "Les registres de depuis 1960 sont dans du papier et sont quasiment détruits".

"Vu les conditions de température et de conservation, lorsqu’il y a un feu ou bien un bureau qui est brulé, on perd totalement tous les registres qui sont concernés", a-t-il souligné avant de donner les avantages de ce projet de digitalisation.

"Les avantages de ce système numérisé ou digitalisé sont évidents. « L’Etat saura, en temps réel, tous les faits d’état civil qui surviennent : naissance, mariage et décès. Les informations collectées sur la mère sont disponibles", a-t-il affirmé.

"En temps voulu, on émet l’extrait d’acte de naissance actualisé avec le nom de l’enfant. Ce n’est plus une déclaration perdue. Les parents ne seront plus obligés d’aller faire un jugement supplétif parce qu’ils n’auront pas déclaré à temps l’enfant", fait-il observer.

"Dans certains endroits, les zones cacaoyères surtout, où les déclarations étaient difficiles, le nombre de déclarations a triplé", s’est-il réjouit avant de promettre que l’ONECI étendra cette opération à l’ensemble des 31 régions, 201 communes, 14 districts et plus de 800 centres d’état civil de la Côte d’Ivoire, à partir de 2023.

L’objectif étant d’atteindre 100% de déclarations de naissances à l’horizon 2025. Mais, surtout à terme, de dématérialiser tous les actes de l’administration publique ivoirienne.

Mais en attendant, d'atteindre cet objectif national, l’agence d’exécution a développé une autre application mobile MyOneci, disponible sur Play Store. Sur cette application, les usagers peuvent prendre connaissance des premiers services électroniques de l’ONECI.

En effet, grâce à cette application, les Ivoiriens, dans un futur proche, devraient pouvoir faire, entre autres, leurs demandes d’extrait d’acte de naissance en ligne.

L’immobilisme des collectivités locales

La digitalisation au service de la modernisation de l’état civil en Côte d’Ivoire est une opportunité pour faciliter la vie aux Ivoiriens et permettre à l’État de faire une meilleure planification de sa politique sociale et économique avec des données fiables. Cette démarche, devrait susciter de l’intérêt et de l’engouement au sein des collectivités locales.

Malheureusement, ce n’est pas le cas et beaucoup attendent les initiatives de l’Etat. Des projets coûteux et qui mettent du temps à être implémentés.

Pour Raissa Banhoro, développeur web et par ailleurs, directrice de Simplon Côte d’Ivoire, l’immobilisme des collectivités territoriales peut s’expliquer par un manque de vision et d’appréciation des avantages du numérique sur l’état civil et partant de tous les services municipaux.

"Le numérique n’est pas encore entré dans les habitudes des politiques ivoiriens. Et les collectivités locales qui sont l’émanation des partis politiques, n’échappent pas à cette triste réalité", regrette-t-elle avant d’enfoncer le clou : "il revient à l’Etat de pousser ses entités décentralisées vers le 100% numérique afin de faciliter la vie des usagers".

Raïssa Banhoro a également fustigé la prolifération des initiatives privées notamment dans la délivrance des actes et faits d’état civil.

"Il y a trop de plateformes qui proposent leurs services dans la délivrance des actes d’état civil mais des succès plus ou moins mitigés", fulmine-t-elle.

"Moi je suis née à Issia, localité distante de 395,7 km d’Abidjan, où je dois me rendre pour y établir mes extraits d’acte de naissance. La dernière fois où, j’ai sollicité les services de la poste de Côte d’Ivoire, j’ai dû attendre trois bonnes semaines. Un délai qui ne me permettait d’accomplir à temps l’acte administratif pour lequel, j’ai voulu faire mes extraits de naissance".

À la question de savoir, pourquoi n-a-t-elle pas sollicité plutôt les services de la mairie d’Issia ? Sa réponse est sans ambages. "Cette municipalité est encore à des années lumières de la digitalisation. D’ailleurs même, les responsables de la mairie ne savent même de quoi cela retourne", a-t-elle laissé entendre dire.

Idem pour la mairie de Zuénoula qui est encore à l’ère scripturale au moment du boom numérique en Côte d’Ivoire. Pour Traoré Mamadou alias Mister T, directeur de la radio communale, "le maire sortant avait envisagé de digitaliser les services de l’état civil, mais cette promesse est restée un vœu pieux".

"Nous espérons que le maire élu lors des dernières municipales du 02 septembre 2023, pourra matérialiser cela, à savoir, digitaliser la mairie de Zuénoula et notamment le service d’Etat civil", a-t-il lâché.

Dans cette grisaille, la mairie de Port-Bouët fait partie des exceptions qui confirment la règle. Cette commune qui fait partie des 13 que compte le District autonome d’Abidjan, a été certifiée ISO 9001 versions 2015 en février 2021 par le Bureau Veritas, pour sa bonne gestion de son service d’état civil, notamment la gestion efficiente et efficace des files d’attente, afin de bannir le désordre devant les bureaux et travailler dans la transparence.

En effet, le Conseil municipal, avec à sa tête le maire, Dr Sylvestre Emmou, a mis à leur disposition une borne moderne de file d’attente. Ce, dans le souci de rendre efficace ce service, de lui permettre de traiter les dossiers avec célérité.

Cette borne est un appareil avec un écran tactile et un rouleau de papier intégré, connecté à deux écrans d’affichage dynamique.

Selon Urbain Blé, sous-directeur du service informatique de la mairie de Port-Bouët, cet appareil oriente l’usager vers la caisse susceptible de l’aider à se procurer le document souhaité.

"En fonction de ses besoins, l’usager peut être conduit vers le guichet de déclaration de naissance, de légalisation, de déclaration de décès... De façon ordonnée et rapide. Cet appareil a aussi un contenu informatif et divertissant", a-t-il révélé.

"Dans une administration, l’accueil est très important. Surtout pour notre mairie qui s’est engagée dans une démarche qualité pour rendre chaleureux ses usagers. C’est pour garantir ce type d’accueil que nous avons mis à la disposition de nos services ce matériel", a-t-il expliqué avant d’indiquer qu’en plus de cela, les agents de ce service ont été équipés de bureautique moderne, sans oublier leur nouvelle tenue.

En définitive, l’état civil doit être classé comme un service essentiel. Raison pour laquelle, le gouvernement ivoirien devrait consacrer un pan essentiel de son programme à sa modernisation pour doter le d’un état civil fiable, exhaustive, sécurisé et statistiquement utile pour une gouvernance moderne.

Il appartient donc aux collectivités locales de s’engouffrer dans cette brèche afin de ne pas rater le train de la digitalisation de l’administration publique et parapublique. Pour cela, elles doivent en marge du projet étatique, entrevoir des initiatives locales afin de donner un meilleur service à leurs usagers qui sont autres que leurs potentiels électeurs. 

Cet article a été produit dans le cadre de la bourse de journalisme sur les infrastructures numériques publiques (IPN) organisée par la Fondation des Médias pour l'Afrique de l’Ouest et Co-Develop.